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Repenser de temps en temps à son ex est assez commun, et ce n’est pas dangereux pour la santé. Par contre, cela en dit long sur le fonctionnement de notre mémoire. 

Mémoire sélective

Se souvenir des bons moments, être sujet au manque de l’autre, tout cela est naturel. Pourtant, l’esprit nous joue des tours. Il sélectionne ce qu’il veut voir, et parfois nous fait fantasmer une relation passée, qui au départ était plus nocive que bénéfique. 

Une étude du CNRS montre qu’il existe une mémoire « éthique », une mémoire dite « motivée ». Elle nous permet d’oublier les actions que nous avons effectuées et qui sont contraires à notre morale. Cet oubli est parfois motivé par des raisons purement affectives, comme vouloir garder une bonne image de soi.

En occultant les comportements néfastes, les individus ont donc parfois une perception de leurs histoires passées qui est transformée. Pourtant, se souvenir des choses qui sont mieux pour nous et l’image que nous avons de nous-même, semble être quelque chose d’assez commun.

Pour la psychologue, Sophie Millot, la raison est que : « nous gardons de vifs souvenirs des moments heureux ou malheureux, et nous lissons ce qui nous dérange ou ne nous intéresse pas ».

Les hormones jouent également un rôle dans la sélection des souvenirs . En effet, l’ocytocine, l’hormone liée à nos souvenirs, s’active lorsqu’on ressent l’absence de l’être que nous avons aimé. Le cerveau produit alors de la dopamine et de la sérotonine, et fait resurgir les plaisirs liées à nos relations passées. Ce qui nous pousse malgré nous, à croire qu’elles étaient moins compliquées qu’elles ne l’étaient en réalité. 

Souvenirs transformés

Si nous oublions et nous lissons des souvenirs, cette transformation s’opère aussi grâce à notre imagination. 

Selon C. Castoriadis, psychanalyste, l’individu commence à penser et à imaginer, avant de se confronter au réel. De ce fait, un souvenir peut être facilement détérioré, car le souvenir se forme aussi à partir d’un élément pensé et imaginé. Soit au moment où le souvenir s’est construit, soit au fil du temps. 

Il remarque même que l’individu peut percevoir cette modification comme indistinct de la réalité. Son imagination lui vend une histoire qu’il n’a que partiellement vécu. Pourtant, il a besoin de se prouver à lui-même que cette histoire est réelle, et cela lui procure une sensation de manque. Pour C. Castoriadis, notre inconscient nous pousse à vouloir rendre réel ce que nous imaginons. “L’inconscient veut abolir (la) distance” entre l’imagination et la réalité. 

Nous transformons donc nos histoires passées, et cette modification pousse notre inconscient à vouloir vivre cette histoire dans la réalité. Cela se traduit par une sensation de manque de la personne que nous avons aimée.

Se trouver des excuses

Mieux encore, l’étude du CNRS nous démontre que nous justifions en oubliant une partie de ces histoires passées, des comportements futurs qui pourraient agir sur l’estime que nous avons de nous-même. Nous oublions ces comportements passées, car nous voulons « justifier de futures décisions immorales ». 

“ Cela […] indique que les individus expérimentent la mémoire motivée pas seulement pour restaurer une image intègre de soi après une mauvaise conduite, mais plutôt pour se donner une excuse, pour justifier de futures décisions immorales.”

PNAS

Il se peut que cela soit la raison pour laquelle on entend parfois dans des conversations, l’affirmation suivante : “je sais que c’est une mauvaise idée, mais j’ai envie de le revoir”.

Le manque ressenti semble être toujours lié à l’imagination, à la manière dont elle interfère sur les souvenirs. Mais aussi par le fait qu’on oublie plus facilement les choses qui nous ont embarrassées. C’est pourquoi, quelques années après une relation, les individus ont tendance à se souvenir plus facilement des bons moments passés. Et parfois, si cette relation était nocive, à construire un autre schéma narratif. 

En ressentant du plaisir via un fantasme, on s’est nous même créé ce manque qui nous pousse à repenser à notre passé. C’est pourquoi on se confronte parfois au fait que nous voulons revivre une certaine histoire. Nous nous sommes même déjà préparés à l’avance aux conséquences que cela pourrait avoir.

Penser à son ex et en ressentir un manque, serait donc en quelque sorte un tour de passe-passe de notre imagination, de notre inconscient et de notre mémoire. On oublierait donc assez facilement la raison de la séparation, quitte à rouvrir des blessures.

Aller plus loin..

Ici, l’article traite simplement des relations avec les ex de manière transversale. En effet, si vous souhaitez plus d’informations sur la capacité dont la mémoire peut agir sur votre passé, notamment en cas d’agression sexuelle par un partenaire, je vous conseille d’aller lire le dossier sur La crise des institutions de l’oubli. Vous y trouverez, avec les notes de bas de pages, un ensemble d’articles très intéressants. 

Plus particulièrement, cet article montre comment la théorie des faux souvenirs (différente de celle des souvenirs transformés que j’utilise plus haut), peut impacter celle des souvenirs refoulés, ou plus généralement ce qu’on appelle l’amnésie traumatique.  

Il y a une controverse sur la théorie des faux souvenirs. Cela peut servir à décrédibiliser le discours d’un ou d’une plaignant(e) qui se souvient avoir été agressé, suite à un souvenir refoulé qui est réapparu. 

Du même coup, C. Castoriadis, me sert simplement à identifier une relation entre imagination et souvenir et l’interférence de l’une part par rapport à l’autre. Cela me permet d’ouvrir sur la possibilité d’une transformation déjà opérée par la mémoire sélective, sans trancher sur la question des faux souvenirs. 

Du fait qu’elle implique par elle-même l’existence d’une réalité de ce souvenir, je suis intimement persuadé que la théorie moins radicale des souvenirs transformés ne peut décrédibiliser un tel discours.

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