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Le chaos, dans nos couples et nos relations sociales, semble être de plus en plus visible dans nos sociétés. Le système dans lequel nous vivons en serait-il la cause ?

Liberté sexuelle et Internet

D’une relation à une autre, les individus semblent avoir une aversion pour les relations à long terme, mais pourquoi ?

Impactant les individus et leur relation avec les autres, Eva Illouz, sociologue, met en évidence que le système dans lequel nous sommes plongés, et la cause de la volatilité de nos relations sexuelles et amoureuses. 

L’amour était auparavant destiné à Dieu et à la religion. Aux mains de l’aristocratie, l’amour s’est détaché peu à peu de son aspect uniquement religieux, pour devenir le symbole de la liberté, au sens où les individus affirmaient leur amour contre les lois de l’Église, et la volonté des parents ou de la communauté. Roméo et Juliette de Shakespeare en est un parfait exemple. 

Le droit de choisir son partenaire et de se marier avec, devient alors une norme. Cela a eu un impact direct sur la vision qu’on avait auparavant du mariage, des autorités traditionnelles et de la vie de couple. Enfin protégée par la loi, cette liberté a participé au droit des femmes à disposer de leur corps, mais aussi à la liberté sexuelle en général. 

“La liberté de jouir de son propre corps et de le contrôler, (…) induit la liberté de choisir ses partenaires sexuels, mais aussi de commencer et de finir à sa guise une relation”  

Eva Illouz, La fin de l’amour

Les revendications sont de plus en plus nombreuses et les années 60 poussent cette liberté sexuelle jusqu’à ce qu’on pensait être son paroxysme. En effet, avec Internet, c’est tout un monde qui a évolué en accélérant le déclin de l’institution du mariage et de la religion. 

Anthony Giddens, sociologue, considère que ces mouvements, qu’il nomme aussi « modernité émotionnelle », redéfinissent « l’intime comme l’expression suprême de la liberté des individus ». Pourtant, selon lui, cela a poussé les individus à vivre aujourd’hui dans un état d’insécurité. 

D’après Illouz, les individus ont maintenant accès à plusieurs ressources culturelles comme technologiques, qui malgré eux, leurs offrent des modèles de comportements, notamment sur les sujets sexuels et amoureux. Mais les émotions eux, semblent poser plus de problèmes. C’est le règne de « la confusion, de l’incertitude, et du chaos ». 

L’insécurité dans les relations et le couple

La liberté sexuelle qui s’affirme à travers la culture consumériste et la technologie, est une cause centrale de ce chaos des émotions. Dans un monde capitaliste, où les institutions deviennent lucratives et où l’individu se sent toujours en compétition avec les autres, il y a une normalisation du plaisir auto-centré. Et cela joue un rôle dans la compétition et l’accumulation sexuelle.

D’après Jeffrey Weeks, célèbre théoricien queer, la politique néolibérale de déréglementation des marchés des occidentaux, a permise une des plus grandes révolutions sexuelles. 

“Si vous avez la liberté absolue d’acheter et de vendre, il n’y logiquement aucune raison de brimer vos partenaires sexuels, votre identité et mode de vie sexuels, ainsi que vos fantasmes” 

Jeffrey Weeks, Invented Moralities : sexual Values in an Age of Uncertainty

De ce fait, les relations ont été transformées et ont pris la forme d’un marché. Les individus ont la liberté d’arrêter une relation, de ne pas s’engager, ou d’en choisir une autre comme ils le souhaitent. C’est, selon Eva Illouz, le « marché des relations sexuelles ». Additionné à la technologie, amenant avec elle la pornographie de masse, tout cela joue « le moteur invisible de nos relations sociales ».

Avec les applications telles que Tinder ou Grindr, les rencontres sexuelles se sont organisées autour de ce concept de marché. Laissant les individus dans une incertitude affective. 

Une étude menée par l’université de North Texas au Etats-Unis, démontre que Tinder nuit à la confiance en soi. Considérés comme des objets sexuels, les individus se comparent entre eux et cela nuirait considérablement à l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes. 

Pourtant, si les aventures sans lendemain ont quelque chose d’excitant et qu’elles ne sont liées qu’au plaisir et n’engagent pas les sujets, elles impactent la capacité des individus à créer du lien et à s’attacher.

Et même si la personne ne cherche pas un partenaire de vie idéale, et qu’elle souhaite seulement un coup d’un soir, elle se lance aussi dans une situation ouverte. 

Il n’y a pas vraiment de règle, et la personne ne fait pas confiance directement. De ce fait, l’individu est dans une incertitude vis à vis de la situation à venir, qui peut lui faire ressentir un sentiment de honte ou même d’insécurité. 

Et ce sentiment d’insécurité, n’est pas que le fait des applications. L’hyperconnexion et la technologie ont aussi un effet notable sur les couples.

Les individus dans les sociétés capitalistes, néolibérales, sont amenés à avoir des relations amoureuses et sexuelles, qui portent en elles la marque du système que ces individus cultivent. Par là, même engagés dans une relation durable, ce sentiment d’insécurité est présent.

Dans une étude sur Les rencontres et les relations à l’ère du numérique réalisée par Pew Research Center, 23 % des personnes qui ont participé et qui sont en couple ont déclaré se sentir en insécurité ou jaloux de la manière dont leur partenaire interagissait avec les autres sur les réseaux sociaux. Pour les personnes âgées de 18 à 29 ans, le pourcentage augmente jusqu’à 34 %. 

Le même pourcentage de 34 % est à noter pour le nombre de personnes en couple qui ont déjà été sur le téléphone de leur partenaire sans leur consentement. Les femmes sont d’ailleurs plus sincères en déclarant à 52 % l’avoir déjà fait, contre seulement 24 % pour les hommes. 

La société dans laquelle les individus sont jetés a un impact certain sur les relations sociales qu’ils vont entretenir. Pourtant, cet impact a aussi ces bénéfices. En effet, la liberté sexuelle indépendamment des systèmes économiques et politiques, est au fondement de la libération des individus et des droits. La question donc qui reste à se poser est plutôt celle de la structure politico-économique dans laquelle les individus continuent de se développer. 

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