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Faire reconnaître son statut de minorité sexuelle est une tâche difficile dans le cadre légal, politique et linguistique des discours dominants, je continue à penser que cette reconnaissance est vitale.

Judith Butler

Trouble : entre genre et sexe

Pour la Pride Month, on s’immisce dans Judith Butler, et on vous fait un résumé de Trouble dans le genre.

Au départ écrit pour critiquer certains mouvements féministes des années 80-90, il est devenu un monument de la pensée queer et du genre.  Sorti en 1990, il évoque la possibilité d’une vie au-delà de l’hétéronormativité.

De Simone de Beauvoir à Foucault, Trouble dans le genre met en avant la possibilité de concevoir différemment le genre et le sexe. 

En pensant la signification du mot « feminin », Butler remarque que la question du genre et entièrement liée au rapport que nous avons avec la notion de sexe. Entre culture et nature, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. La définition ancienne du « feminin » se trouve alors remise en question, et est déstabilisée, aussi bien que celle de « la femme ». 

« Femme », même au pluriel, est devenu un terme qui fait problème, un terrain de dispute, une source d’angoisse. 

Judith Butler

Trouble dans le genre est donc un livre sur la possibilité d’une nouvelle signification « du féminin » et de « la femme ». Butler va tenter de revenir sur ces mots, en explorant la question de la binarité et du genre. Et en étudiant le genre indépendamment de la question du sexe, Butler va réussir à l’affranchir du corps. 

En effet, le genre est quelque chose de culturel, il ne découle pas automatiquement du sexe. Homme et masculin peuvent alors faire référence à un corps féminin comme à un corps masculin et vice-versa. C’est à partir de ce constat, que Butler va remettre en question la binarité du genre. 

Pour elle, même si la morphologie et la constitution des corps paraissent confirmer l’existence de deux et seulement deux sexes (ce qu’elle questionnera), « rien n’autorise à penser que les genres devraient aussi s’en tenir au nombre de deux ». 

Mais elle ne s’arrête pas là. En effet, elle montre aussi que le corps est un ensemble de significations culturelles. Le corps est un instrument qui nous permet d’agir dans le monde et n’est qu’interprétation. C’est parce que nous souhaitons nous l’approprier, en faire quelque chose pour soi, qu’on l’interprète et qu’on lui donne une signification purement culturelle. 

On attache des significations culturelles et externes à notre corps. De ce fait, le corps est quelque chose qu’on interprète, et sa signification est toujours en construction.

C’est pourquoi, poser la question du genre et la possibilité de sa pluralité, c’est aussi poser les mêmes questions pour le sexe. En effet, pour Butler :

Le sexe est, par définition, du genre de part en part.

Judith Butler

Derrière la théorie

Pour arriver à cette idée, Butler a dû faire un pas dans l’histoire. La tradition philosophique, de l’antiquité aux modernes (Platon à Descartes), jusqu’à Sartre, avait mis en évidence une distinction : celle de l’âme (conscience, esprit) et du corps. Et cette même distinction sous-entendait des rapports hiérarchiques : l’esprit survit au corps et tente toujours d’échapper à lui. 

Pourtant, au fil de temps, la catégorie « femme » a été assimilée au corps, et la catégorie « homme », à l’esprit. Cette association étudiée par Elizabeth Spelman, dans Woman as a body, révèle que l’esprit libre a été associée au masculin, et que le corps, lui, qui empêche cette liberté, a été associé au féminin. 

Les hommes ont donc été glorifiés, et les femmes ont été réduites à leur corps, leur sexe. De ce fait, selon Butler, « le seul genre marqué est le genre féminin ». Bien plus, il est cet autre qui empêche la libération de l’homme. Le sexe féminin est devenu un danger. Il est cet autre du sexe masculin qu’on ne saurait voir. 

Pourtant, la binarité du genre n’a pas réellement de sens. La société a mis en place cette hiérarchie des sexes et cette binarité en fonction de théories qui augmentaient le pouvoir des hommes hétérosexuels, jusqu’à en faire une norme culturelle.

C’est pourquoi Butler se demande, si  « les « femmes » n’ont-elles de lien qu’en vertu de leur oppression ? » En effet, on peut donc se demander si la catégorie « femme » n’est pas  justement et simplement, la catégorie des opprimés, plutôt qu’un fantasme d’une catégorie de genre ou de sexe. 

L’hétérosexualisation du désir a institué l’opposition binaire et hiérarchique entre le « féminin » et le « masculin ». Et par là a réduit les femmes au corps, tout en supprimant la possibilité d’autres formes d’identités sexuelles. 

C’est pourquoi Trouble dans le genre est un livre important. Il formule à l’intérieur de ce cadre hétéronormatif, « une critique des catégories de l’identité que les structures juridiques contemporaines produisent, naturalisent et stabilisent ». 

Selon Butler, pour arriver à supprimer ces rapports, il faut que les analyses féministes cherchent à comprendre comment la catégorie « femme » – le sujet féminisme – est produite et contenue dans les structures du pouvoir, au moyen desquelles l’on s’efforce de s’émanciper. Et elle ira jusqu’à écrire : 

Peut-être la « représentation », la politique féministe, finira-t-elle paradoxalement par n’avoir de sens pour le féminisme qu’au moment où l’on aura renoncé en tout point au postulat de base : le sujet « femme ».

Judith Butler

C’est toute la pensée binaire du sexe et du genre qui est remise en question. Pour Butler, il faut supprimer la notion de sexe pour supprimer cette hiérarchie. En évoquant les positions de Wittig ou de Foucault sur le sujet, elle montre que « la catégorie même de sexe disparaîtrait, voire s’évanouirait, si l’hégémonie hétérosexuelle était perturbée et renversée ». 

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